Ce mois-ci, nous partons à la rencontre de Guillaume Millot, producteur de céréales bio et éleveur de brebis bio à Rollainville, dans les Vosges. L’histoire d’un producteur autonome, profondément engagé dans l’agroécologie.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre activité et exploitation ?
Je m’appelle Guillaume Millot, j’ai 45 ans, je suis marié et père de deux enfants. Je suis installé depuis 2001 à Rollainville, dans les Vosges, dans la ferme familiale.
J’ai converti mes parcelles à l’agriculture biologique en 2016, puis mon troupeau en 2018. J’étais déjà dans une démarche de réduction de produits phytosanitaires depuis quelque temps. L’envie de minimiser l’impact environnemental de mon activité m’a conduit à considérer cette voie comme la plus crédible et cohérente avec mes valeurs.
Mon exploitation s’étend aujourd’hui sur 350 hectares, dont 70 sont en prairie permanente et le reste en terres labourables. La production de céréales représente environ 230 hectares.
Sur le plan humain, la gestion de la ferme a évolué au fil du temps. Nous avons été jusqu’à trois à travailler sur l’exploitation – avec mon père et mon beau-frère. Mais des difficultés de recrutement pour les remplacer nous amène malheureusement à être un de moins et à réduire l’activité. Aujourd’hui, je travaille avec Théo, mon neveu, qui est salarié mais qui s’installera bientôt.
Que produisez-vous ?
Côté terre, je cultive une large gamme de céréales et de légumineuses bio : de l’avoine de printemps, du blé d’hiver, du grand et petit épeautre, des lentilles, des pois verts, du tournesol, de la cameline, du triticale, de l’orge et du lin oléagineux. Cette diversité est une richesse, mais elle apporte aussi son lot de défis. La gestion des céréales implique une organisation importante, notamment pour le stockage, le tri et le nettoyage des récoltes, etc., et un besoin d’outils spécifiques.
Toute cette production est commercialisée en filière longue. Les céréales sont intégralement collectées par Probiolor, une coopérative céréalière 100% bio dont je fais partie, située à 45 km de ma ferme. L’Union Ferme Bio se charge ensuite de leur commercialisation.
Sur le plan animal, j’élève 350 brebis bio allaitantes. Ces dernières et les agneaux sont vendus par la coopérative Cobevim puis commercialisés par le groupement 100% bio Unebio.
Quels modes de production utilisez-vous ?
L’ensemble de ma production céréalière est labellisée Bio Équitable en France et menée selon les principes de l’agroécologie. Ma vision de l’agriculture repose sur l’autonomie et le respect des équilibres naturels. C’est pourquoi 90 % des semences que j’utilise sont autoproduites et je n’utilise aucun engrais organique, à l’exception d’un peu de soufre pour la luzerne, qui en a spécifiquement besoin.
Je mise sur des pratiques comme la couverture des sols et la restitution des pailles pour enrichir la terre au fil des années. Parce que ce sont des méthodes qui prennent du temps, je n’en verrai pas immédiatement les résultats. La diversité de ma production repose également sur une rotation des cultures soigneusement planifiée. Pour moi, c’est un peu comme une partition de musique. Chaque culture représente une note qu’il faut jouer au bon moment pour que l’ensemble fonctionne. Cela dit, je reste flexible pour m’adapter aux besoins du marché selon les consignes de la coopérative.
J’accepte les limites de mes terres argilo-calcaires et caillouteuses, et je ne cherche pas à obtenir ce que le sol ne peut naturellement fournir. Les rendements que j’obtiens sont donc modestes, mais le peu de charges que j’ai en face me permet de préserver la viabilité économique de la ferme.
Du côté de mon troupeau, j’élève mes brebis et mes agneaux selon un système de production bio. Par ailleurs, mes animaux évoluent dans une surface adaptée et profitent au maximum des ressources de l’exploitation. L’alimentation de mes brebis provient à 100 % des fourrages cultivés sur la ferme.
En quoi ces pratiques vous permettent-elles d’être plus résilient face aux aléas de la nature ?
Les plantes cultivées sans aucun intrant dans un système agroécologique s’adaptent généralement mieux aux contraintes climatiques grâce à des sols plus vivants et une rotation bien pensée. Lors des années de sécheresse, mes céréales sont clairement plus résilientes.
Cependant, certaines années restent particulièrement difficiles. Par exemple, cette année très humide a été pénalisante pour certaines cultures car les sols ont quand même manqué de fertilité à cause des fortes pluies.
Pourquoi avoir choisi de vous engager dans une démarche de commerce équitable ?
Je me suis engagé en même temps que mon groupement, par conviction et pour donner davantage de sens à mon activité. Cette démarche répondait à une problématique importante pour moi. En effet, bien que je ne pratique pas la vente directe, le label donne aux consommateurs des garanties sur l’origine et la qualité de mes produits. Il certifie également qu’ils sont issus d’une rémunération juste et équitable.
Il est essentiel que le travail des agriculteurs soit valorisé à sa juste valeur. Travailler pour vendre à perte n’est pas une situation normale ni acceptable. Le commerce équitable permet de réaffirmer ces principes et de leur donner une visibilité nationale. Il répond également à une demande croissante des consommateurs pour des produits locaux et responsables.
Cependant, il reste encore du chemin à parcourir. Aujourd’hui, seulement 10 % des volumes produits par ma coopérative sont labellisés Bio Équitable en France. Cela signifie que les 90 % restants ne sont pas toujours vendus de façon équitable à cause du marché. D’où l’importance de continuer à promouvoir et à étendre cette démarche pour qu’elle devienne une norme, et non l’exception.
Quels sont les enjeux de l’agriculture de demain selon vous ?
Selon moi, l’enjeu principal est que l’agriculture, en France, en Europe et dans le monde, effectue une transition inéluctable vers des pratiques biologiques. Cette évolution est essentielle pour répondre aux défis environnementaux, sociaux et économiques de notre époque. Cependant, cela doit se faire en préservant les racines et les valeurs fondatrices de l’agriculture biologique : respect de la terre, des hommes et des cycles naturels, etc.
Pour y arriver, la problématique n’est pas technique, mais politique. Par le passé, nous avions des objectifs mais peu de moyens pour les atteindre. Aujourd’hui, nous n’avons même plus de cap. Nous avons le sentiment d’être livrés à nous-mêmes.
Pour ma part, et même si ma résilience ne sera pas éternelle, je reste motivé. Il m’est impossible d’imaginer revenir à l’agriculture conventionnelle. Il est donc impératif que les prix s’améliorent, que des politiques claires soient définies, et que les valeurs du bio soient défendues avec force.
Pour que l’agriculture bio soit durable, il est indispensable de retrouver une forme de stabilité. Cela ne passe pas forcément par des aides financières, mais par des mesures structurelles, comme une pression accrue sur la grande distribution pour éviter le déréférencement des produits bio. L’objectif est de redonner confiance aux producteurs et aux consommateurs, et de recréer une dynamique positive.